Confidences et Gin Tonic,  Un peu de spiritualité

Je veux mourir les poches vides ou le syndrome Vinted

Hier soir, je suis allée diner chez des amis. Une jolie maison, assez grande, beaucoup de cachet, des poutres apparentes et une multitude de petits endroits où stocker tout un tas de choses. Au départ, je ne fais pas trop attention à toutes ces affaires qui sont entreposées ici et là, un peu partout. Puis, la maitresse de maison nous fait visiter les autres pièces. La chambre des enfants regorge de jouets, de vêtements qu’ils ont probablement essayé de ranger plus ou moins bien. Bien entendu, ils ne possèdent pas le talent de leur maman pour le pliage. Leur quantité est donc d’autant plus impressionnante. Puis vient la suite parentale et son éternel dressing. Je jette un œil rapide à l’intérieur. Mon Dieu !!! Des dizaines, des centaines de vêtements, rangés par couleur, par thème, par style, par saison. Les petits hauts manche trois-quarts en haut à gauche, les t-shirts en dessous. Des penderies à n’en plus finir, des tonnes de chapeaux, d’accessoires en tout genre. On ne sait plus où donner de la tête.

Et pendant tout le repas, ce que j’ai vu me travaille. Cela reste comme une petite chose qui tracasse mais dont on a du mal à mettre le doigt dessus. J’essaie de ne plus trop y penser, passe une agréable soirée quand vient le moment du départ. Et là, ce que j’avais en tête se matérialise enfin en mots. Et je leur dis, assez maladroitement, en guise de remerciement : « moi, ce que j’aimerais, c’est être la plus pauvre du cimetière, m’éteindre en ne possédant plus rien ». Bonne nuit, à bientôt, on ne fera pas mieux ce soir !

Depuis que je suis petite, j’entends cette expression : « il ne faut pas être le plus riche du cimetière ». En d’autres termes, dépensons tant que nous sommes vivants, n’épargnons pas trop et partons les poches légères, à défaut de l’esprit.

Sauf que je viens d’une famille – surtout la branche maternelle – qui a toujours eu peur de manquer. Manquer de quoi, je ne sais pas et je me pose toujours la question. Si ! Je sais ! Manifestement, ma maman a manqué d’amour, manque qu’elle compense largement en mangeant toute sorte de choses depuis plus de soixante ans, force est de constater qu’elle ne manque de rien d’autre. Bon travail, belle maison, quelques appartements mis en location, gros 4×4 dans le garage, la piscine et probablement quelques comptes en banque bien garnis à droite à gauche. Pourtant, les questions d’argent sont toujours délicates à aborder avec elle. Son dressing est une insulte à celui de Carry Bradshaw ! Je pense qu’elle possède plus de chaussures que la réserve des Galeries Lafayette et je ne parle pas des sacs, écharpes, manteaux. Mes parents sont les seules personnes que je connaisse à pouvoir recevoir quarante invités sans avoir besoin de louer la moindre vaisselle. On peut sans aucun doute faire cuire une dizaine de poulets en même temps, tellement il y a de plats. Ils ont à eux deux trois frigos et deux congélateurs. La fin du monde ne passera pas par chez nous ; nous avons de quoi nourrir toute la famille pendant trois ans sans avoir besoin d’aller faire le moindre ravitaillement. L’exagération est ici minimaliste ! Et plus ils vieillissent, plus ils entassent, amassent, comme si le débordement des choses les rassurait, comme si ces objets par milliers les réconfortaient et éloignaient la solitude.

Ce qui est étonnant, c’est que j’ai entamé le processus inverse il y a quelques années.

Mon dieu tout ce que j’ai pu acheter d’inutile, de cher, d’inutile et cher. Je ne compte plus les achats compulsifs de chaussures dans les grands magasins parisiens, les robes que j’ai portées au mieux une fois, celles qui possèdent encore leurs étiquettes car jamais mises. Aujourd’hui et malgré le début de l’épuration il y a quelques années, je constate qu’il m’est encore difficile de vendre certaines choses que je n’ai pourtant jamais portées. Pourtant, quand je cède enfin, que je mets en vente ou que je donne et que l’objet quitte mon appartement, je l’oublie

instantanément. Et curieusement, c’est comme si une petite place s’était libérée à l’intérieur pour autre chose : du temps, de la spiritualité, des livres, un peu de vin, des voyages. Et de là m’est venue cette idée un peu folle : je veux mourir les poches vides. Je ne veux plus rien posséder quand je quitterai ce monde, en tout cas, rien que je n’ai pu transmettre ou donner. Je veux partir à vide, libre de toute possession. Et quand ce processus démarre à 40 ans, on réalise à quel point l’acte d’achat a des conséquences qui vont bien au-delà de notre simple plaisir temporaire de possession. L’industrie du vêtement est, selon les spécialistes, la deuxième industrie la plus polluante au monde. En France, un vêtement est porté environ sept fois. Vous vous rendez compte ?!! Sept fois ! Ça veut dire que sur une année, on ne va même pas le porter une fois par mois. Qu’en est-il lorsque nous le gardons deux ans, cinq ans, dix ans ? Mon propos ici n’est pas de l’ordre du minimalisme, de la décroissance et de la collapsologie. Mais plutôt de partager cette prise de conscience que de nos jours, et depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, nous avons privilégié l’avoir à l’être. Dis-moi ce que tu possèdes et je te dirai qui tu es.

J’ai conscience d’avoir souvent envoyé le mauvais message en arborant fièrement mes escarpins à semelles rouges, ma montre avec sa couronne acier et mon sac griffé d’un gros H. J’étais fière de les porter ces objets. Je voulais qu’on me regarde comme quelqu’un qui était capable de se les payer, même si je sais très bien que la plupart des gens que j’ai croisé n’en ont strictement rien eu à faire ou bien ont pensé que j’étais simplement bien mariée (une femme de 40 ans qui s’offre tous ces articles de luxe seuls ? Bizarre…).

Aussi ai-je entamé le processus de séparation, non sans difficulté je dois l’avouer. Mais une chose étrange se produit à chaque fois que je vends un de ces articles (ou que je le donne, c’est très fréquent). Instantanément, il disparait de ma mémoire quand il disparait de ma vue. Je ne pense évidemment pas à sa seconde vie et je suis contente de voir le porte-monnaie de mon site de vente en ligne augmenter petit à petit. Je pense que ça va me permettre de m’offrir un bon restaurant avec mon fils, un bout de notre prochain voyage, un nouveau vélo (parce qu’on peut avoir un dressing de star avec un vélo pourri).

Cette semaine, j’ai acheté une petite maison de campagne, adorable, toute de vichy décorée, avec un jardin délicieux. Cette maison, il va me falloir la financer. Et je n’ai pas de regret mais je regarde tout ce que j’ai actuellement et me dis que j’aurais déjà pu payer au moins 20% du prix de la maison si je n’avais pas acheté toutes ces choses. Alors, il me reste encore la possibilité de les vendre bien entendu. Mais une paire de Louboutin, c’est comme une voiture neuve : une fois qu’elle a quitté sa boutique, elle a déjà perdu 30% de sa valeur !

Et puis, je n’ai qu’un fils, j’ai 42 ans, que va-t-il faire avec douze paires d’escarpins, autant de bottes en cuir, des sacs de partout. Strictement rien. L’une de ses chéries que je prendrais sous mon aile sera peut-être ravie mais d’ici là, ces articles ne seront plus à la mode et il est hors de question que je les emmène dans la tombe.

En revanche, ce petit cottage à la campagne sera peut-être là où mon fils organisera ses premiers week-end entre potes. Ce voyage à NYC que nous voulons faire depuis si longtemps lui apportera sans aucun doute plus de bonheur qu’une robe de couturier.

Je sais bien que c’est facile de tenir ce discours quand je n’ai finalement jamais été en difficulté financière. Mais je vois le millier de jeunes filles qui se ruent chez les Primark, H&M et autre Zara qui vendent de la mode comme on vend de l’eau : par litres, comme si c’était vital. Il faut se vêtir bien-sûr et savoir se faire plaisir. Mais si l’on enseignait à nos enfants à dépenser avec parcimonie, à acheter un vêtement de qualité plutôt que douze de mauvaise. La publicité, le cinéma, la starisation et les réseaux sociaux ont largement contribué à intégrer dans la tête des enfants que pour être, il fallait avoir, pour être accepté dans la tribu, il fallait

avoir ces baskets plutôt qu’un autre modèle, ce sac d’école parfaitement impratique plutôt qu’un sac durable et confortable. Il ne s’agit pas de revenir en arrière et je déteste cette rengaine qu’on entend de plus en plus du « c’était mieux avant ». Non, ce n’était pas mieux avant, c’était différent. Mais apprenons à nos enfants à ne pas trop céder aux sirènes de la consommation pour privilégier le bonheur, ce qui ne peut pas se matérialiser mais qui reste gravé dans la mémoire, la joie, les pleurs, les rires, les souvenirs.

C’est décidé, demain, je continue à vider mes placards, le cœur encore plus léger, pour ne les remplir que de jolis moments, pour les donner aux autres, et pour ne plus vivre sous le diktat de la possession.

Alors, qui pour un vide-maison géant ?!

Aurélie Iund

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